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Le tracé du pinceau - une vie et des rites

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Message  Morague Argamane, Euren Mer 19 Juin - 23:26

De la naissance à la mort, nous sommes tenus par les Li, les rites ayant force de loi, tissant de façon inextricables nos relations sociales. Ces rites sont à l’image de la tenue de soie qui nous enveloppe et nous garde de la nudité… mais qui parfois, nous enserre et nous astreint. Ils conditionnent des grands rituels aux petits gestes du quotidien, définissent notre place, devant les hommes et les dieux, et tracent les destinées.



On les exécute, comme on calligraphie, d'abord avec concentration, pour en assimiler les caractères, puis spontanément, avec fluidité et spontanéité... comme si ces rites s'étaient inscrits, à l'encre de sang, au plus profond de nous.
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Message  Morague Argamane, Euren Mer 19 Juin - 23:28

Le pinceau et l’épée

Le tracé du pinceau - une vie et des rites Poem_by_lennyconil


Depuis mon plus jeune âge, j’ai arpenté ces chemins de l’existence balisés par les rites. Ceux qui se perdent dans les ornières de ces chemins ont tôt fait de perdre la face, et de la faire perdre à leur clan. Seuls quelques marginaux indifférents à la rustrerie, manquant de cœur ou amputés du sens de l’honorable par l’extrême dénuement dans lequel ils se trouvent, se permettent de tomber en telle déchéance. Ainsi, il va sans dire que nous ne pouvions dévier des voies tracées pour nous.




Mon père était l’un des nombreux mécanismes et rouages qui permettaient à l’administration de l’Empire de Nara de tourner rond, l’un de ces nombreux fonctionnaires dont s’entourent les ministres de l’Empereur, à l’égal de ses pères. Cette position avait conféré à mon clan natal, le clan Luobi, les mérites et les positions de lettrés aux bonnes assises. J’écoulai donc une enfance heureuse, dans le confort qu’offrait la fleur délicate et fragile de notre petite noblesse, acquise autrefois, à force de sueur et d’encre versée, par des ancêtres à qui nous offrions des libations, front contre terre, les jours de fête. Ainsi que le veut la coutume, je fus éduquée dans la perspective d’un mariage, consécration d’une alliance entre deux clans. Je m’imprégné, dans mes années les plus jeunes, de ces savoirs façonnant l’être et le paraitre, destinés à faire de moi un atout pour le clan qui m’accueillerait, une bonne épouse, aussi noble de sang que de coeur.



On arrangea pour moi un mariage avantageux, négocié dans les couloirs aux hautes colonnes de jade des palais d’été de la capitale. Des murmures entre deux écrans savamment peints était né le projet d’union entre mon clan natal et le fils ainé du clan Wu.  Ce clan avait acquis sa noblesse non au gré de mouvements délicats du pinceau, mais bien au fil de l’épée. Jeune encore, le premier né était déjà à même de commander les flots tempétueux mer d’acier et d’étendards qu’était l’armée de Nara. La noblesse de son sang, et les hauts-faits de ses ancêtres, lui avaient valu d’accomplir déjà, malgré son jeune âge, un devoir lié au commandement. La décision était logique : les avoirs de notre famille permettaient au clan Wu de recevoir une dot considérable, dont il tirerait avantage, alors que notre clan, quant à lui, bénéficiait du prestige d’une alliance contractée avec un clan supérieur en noblesse et en prestige.




L’épée avait triomphé du pinceau : c’est sous son signe que ma destinée avait pivoté, destinée à tracer sa calligraphie davantage dans le sang versé au nom de la défense de la mère patrie, que dans l’encre. Pour la majorité du peuple de Nara, la réelle noblesse s’acquiert après tout en faisant preuve de valeur au combat.
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Message  Morague Argamane, Euren Mer 19 Juin - 23:30

Souvenirs du pavillon rouge


Le tracé du pinceau - une vie et des rites Tranquility_by_andreewallin-d4xjtd0
Je n’ai vu Zhanshi, mon époux, qu’au jour du mariage, ainsi que le voulait la coutume. Une fois le palanquin déposé sur l’allée de pierre du domaine Wu, et le voile écarlate soulevé de mon visage, je l’ai vu pour la première fois. Droit, martial, austère, en ce jour pourtant destiné au repos, et, théoriquement, à l’allégresse. Le chant des grillons égayait le jour estival, et enterrait presque les banalités d’usage que nous nous sommes échangés lors du banquet suivant la cérémonie. Les festivités incitaient aux échanges qui rendaient l’événement soutenable.


Encore, lorsqu’on nous invitait à boire, à manger, et lorsqu’on nous rendait ces hommages interminables en appelant au bonheur, à la prospérité et à la fécondité du ménage, nous demeurions en terrain connu et en un ballet codifié. Et pourtant, après que nous ayons été escortés à la chambre nuptiale par la pléthore d’invités, ainsi que le voulait la tradition, quand nous avons été laissés à nous même, nous nous sommes reconnus comme deux étrangers perplexe, égarés, dans ce bref moment de flottement hors de la voie des rites codifiant la vie publique.


Nous avons partagé le lit, nous sommes unis sans passion, car là était notre devoir. Cette fusion des corps sans partage du sentiment était vouée à trouver son écho dans la routine qui suivait le mariage. On avait réservé au jeune couple que nous étions un pavillon peint de rouge, couleur riche et fastueuse célébrant une union se voulant heureuse. Toutefois, en cela comme en bien des événements marquant nos vies, un gouffre s’interpose souvent entre le paraitre et l’être. La fleur que j’étais, déracinée, suffoquait et se flétrissait, dans ce terreau inconnu où elle était transplanté. Je mis un certain temps à m’accoutumer à mon nouveau clan, à ses mœurs, à mes beaux-parents et ses frères, avec qui nous partagions notre routine. Malgré les incertitudes, les aigreurs de cette subordination à un mari, à un clan inconnu, je gardai la tête haute, et prit bien garde à faire démonstration de mon ressenti, qui aurait été à la fois aveu de faiblesse, et source de honte.


L’amour, bien qu’objet de nombre de romans, encensé sur l’autel théâtral, est souvent perçu comme un élément perturbateur, des devoirs des jeunes gens envers leur clan. L’amour incite, dans sa beauté et sa tragédie, à se détourner de ses devoirs de piété filiale, à se dérober à ses obligations au nom de l’être aimé. Pour la plupart des clans notables, les mariages sont affaires d’alliance, bonifiant les affaires des deux parties, et dans l’établissement d’une telle entente, la passion ne serait guère convenable : l’empressement à quitter son clan natal, à s’en détourner, tiendrait un rien, dans la conception populaire, de la trahison. Comme le voulait la coutume, le devoir et les rites furent les guides d’une relation obligée, entre une fille de lettrée et un homme d’arme, entre une fleur aux racines solides, et un nuage allant là où les vents de ses devoirs envers l’Empire le menaient.


J’ai vu se fendiller, pour la première fois, la coquille du formalisme de Zhanshi, pour la première fois, après la naissance de son fils. Ni lui, ni moi, à sa vue, n’avons pu contenir notre émotion. Il ne serait pas sage pour un homme d’assister à l’accouchement, chose qui s’avèrerait être une humiliation pour les deux partis, ainsi, vit-il son fils après les événements, après que j’aie pu retrouver une composition convenable. Tout obnubilé était-il, j’ai pu remarquer cette émotion, cette étincelle dans son regard, l’illumination de son expression. Et j’ai su à ce moment, par l’entremise de ce fils, destiné à perpétuer l’illustre lignée Wu et à en glorifier plus tard les ancêtres, que nous partagions désormais quelque chose. Après la naissance de ce fils, mon époux se montra plus attentionné, intéressé, et compréhensif. Sans les flamboiements et éclats des grandes passions, avec plutôt la chaleur douce des braises couvant dans l’âtre d’un foyer, une affection, une tendresse, s’était allumée.


À l’égal du thé sucré de miel, notre union avait d’abord révélé un gout amer avant de déployer toute sa douceur.  Le pavillon rouge, où nous logions, est alors devenu ma réelle demeure, un lieu dont la couleur symbolique se liait à un bonheur réel. Mes racines s’enfoncèrent plus profondément, dans la terre noire de son boisé ombrageux. Le temps passa. Les parents de Zhanshi dénouèrent leur lien à ce monde, et une tablette à leur nom rejoignit l’autel des ancêtres. Je donnai à Zhanshi deux autres fils, et une fille, qui bonifièrent encore les liens ténus qui nous avaient rapprochés. Malgré les absences de Zhanshi, les secrets mal contenus de concubines entretenues, j’ai été heureuse. La bonne éducation des enfants était une obligation prenante, mais en tant qu’épouse du fils ainé, la bonne administration des affaires du domaine Wu l’étaient tout autant, parmi mes devoirs. Avec intérêt et passion, je me suis plongée en ces affaires, maniant le pinceau avec la même fougue que mon époux maniait l’épée, et veillant au bon ordre des choses en ce monde et en l’autre, au gré de nos obligations temporelles et rituelles.


Les années passèrent, au gré de cette routine. Nos enfants grandirent : la fleur de prunier avait donné des fruits mûrs, désormais. Les fils empruntèrent la voie de leur père, la fille intégra un clan qui se ravit, comme le clan Luobi autrefois, de contracter une alliance si avantageuse. Puis, après les chaleurs de l’été, vint la brise fraiche de l’automne, qui souffla sur mon existence. Un coursier vint me faire prévenir que Zhanshi ne reviendrait pas des zones frontalières. On me raconta qu’il avait sacrifié son sang et sa vie pour Nara, pour contenir l’assaut d’uruks semant le trouble aux confins de l’Empire. Avec les formules d’usage, je présentai mes remerciement, tandis qu’on me formulait les paroles d’usage pour déplorer ma perte. Je ferais de ces paroles de condoléance une litanie : alors que je remettais l’héritage à nos enfants, que je concluais les affaires conduites, que je veillais à ce que les rites funéraires soient bien menés.


Ainsi venait le crépuscule. Et après, je connus un nouveau vide, une nouvelle nuit, traversée avec la même douleur que celle ayant suivi notre mariage. Cette nouvelle période d’angoisse me frappa car je connaissais la coutume, et ne savais que trop bien ce qui m’attendrait ensuite.
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Message  Morague Argamane, Euren Mer 19 Juin - 23:58

Le crépuscule

Le tracé du pinceau - une vie et des rites Halls-of-Memory-254406894 Le tracé du pinceau - une vie et des rites Halls_of_memory_by_noahbradley-d47gtm6

La coutume veut qu’une veuve se montre chaste et vertueuse. Si un homme veuf, surtout à défaut de descendance, peut se remarier sitôt que les dieux se décident à cueillir l’âme d’une épouse, il n’en va pas de même pour une veuve. Certains estiment que, par delà le voile des nuages et des cieux, on réserve un sort aux âmes des veuves remariées. Celles-ci, dit-on, sont déchirées en deux, littéralement, entre les âmes de ses deux époux, la réclâmant toutes deux comme sienne. Les veuves, également, portent un fardeau supplémentaire… et si tant est qu’elles ne se montrent pas irréprochables, il n’est pas rare qu’elles soient accusées d’avoir causé directement ou indirectement, que ce soit en courrouçant les dieux, ou en causant au mari un désespoir lié à quelque déshonneur, la mort de leur époux. Pour qui ne présentait pas une figure irréprochable risquait d'être perçue comme à peine plus qu'une Maeshin, prompte à la trahison, sans scrupule, destinée au malheur de ses proches.


La vie n’est pas évidente, lorsqu’on porte cette moitié de ciel qu’est la féminité, car elle semble semée de bien davantage de contraintes, et impose à bien davantage de rigueur et d’orthodoxie.


Pour certaines veuves, il est de mise de faire montre du summum de dévotion maritale, en se jetant sur le bucher funéraire du défunt époux, pour s’y consumer vivante, ou encore d’être ensevelie, tout aussi vivante, sous la terre et la pierre du tertre funéraire. Certaines, plus effacées et discrètes, mais non moins dévouées, se ravissent la vie d’un poison ou d’une lame courte, avant d’être ensevelies au côté de l’époux bien-aimé, dans la terre encore meuble pour avoir tout juste avalé le défunt.


Je n’ai, de mon côté, trouvé ni le courage, ni la force morale, ni la motivation d’opérer ce dernier geste de dévotion. J’ose croire, je l’espère, que mon défunt époux saura m’en pardonner. Je saurai à tout le moins lui présenter, pour me justifier le moment venu, une autre maxime garante de nos traditions, attestant que le fil de nos existence est coupé à une longueur donnée par les dieux, par avance, et qu’il serait bafouer leur volonté que de se présenter à eux trop avant l’heure, quand ce monde peut encore nous offrir, et que l’on peut encore offrir à ce monde.


Cependant, mon statut de veuve de la société convenable exigeait de moi un retrait du monde. Les biens et propriétés des Wu étaient déjà revenus à mon fils ainé, avide, en compagnie de sa jeune épouse, de faire fructifier le domaine. Il revenait au sang neuf d’occuper ces charges, et il n’eut pas été convenable, ni pour eux qui auraient alors fait défaut à la piété filiale, ni pour moi qui aurait bridé la jeune génération, de l’empêcher de les assumer.

Il est généralement convenable pour une femme veuve, nullement destinée au remariage ni à une vocation temporelle la rendant indispensable au sein de son clan, de se retirer du monde, dans quelque monastère, et de consacrer ses quelques années restantes aux dieux, aux esprits défunts, et aux vivants tourmentés par quelque fardeau moral.


Ma chevelure de jais s’essaimait déjà de filaments couleur de perle. Sans être vénérable, j’avais un âge respectable, j’étais alors femme mûre qui avait sacrifié à la vie et à l’expérience une bonne part de sa beauté d’antan. Je n’étais plus la fleur que j’étais autrefois, et entre les murs de pierre du Temple du Serpent Blanc j’achèverais de me faner.


Ainsi, la décision fut prise, de cet exil de nos terres, qui m’évitait, et qui évitait à mes enfants, à mon clan, de perdre la face. Le pavillon écarlate s’évanouit, dans la lueur mordorée, crépusculaire qui marquait mon départ. Les dieux étalaient sous mon regard cette cuisante métaphore. Contre le doré des cieux, le rouge du pavillon se muait en ombrage et en grisaille. La flamboyante couleur, symbole de joie, s’était ternie, alors que le ciel se pailletait d’or, comme les bonheurs d'antan prennent ombrage, laissant toute la place à un ciel d’or, symbole de la prospérité de ce jour, et des gens de leur temps, qui noyait les construction d'autrefois dans ses lueurs crépusculaires.
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Message  Morague Argamane, Euren Jeu 20 Juin - 0:44

Le Temple du Serpent Blanc

Le tracé du pinceau - une vie et des rites Chinese_Monastery_Concept_by_I_NetGraFX

Le Temple se dressait au sommet de la falaise, monolithe de pierre claire dont les combles s’étiraient à perte de vue, lorsqu’on tordait son cou pour en apercevoir le faîte.


Il fallait gravir, ironiquement, un long chemin en lacis tracé dans la terre pâle et crayeuse, jusqu’au sommet de la falaise, et donc arpenter, si on le voulait, le dos du long serpent blanc, afin de parvenir à sa tête, aujourd’hui démesurée, perchée sur le piton rocheux.


Portée pour une dernière fois, dans le palanquin aux couleurs du clan auquel j’appartenais, on me portais dans ce havre destiné à abrité les êtres d’un autre temps, où on perpétuait rites et pratiques remontant aux temps immémoriaux, où les jours s’écoulaient par-delà l’emprise du temps, et des obligations conventionnelles, et où l’on sacrifiait ses efforts aux choses mystiques, dépassant de loin les affaires du quotidien.


Prêtresses, moniales et vestales y séjournaient, veillant à acquitter leurs obligations envers les dieux, avant leurs devoirs temporels. Ainsi, nous attendîmes longtemps, sous le soleil plombant de la cour, que l’on daigne nous accueillir enfin. Une des nonnes se détacha alors de quelque séance de contemplation, pour me conduire sous l’ombrage des pierres, au sein de l’enclave. Me sachant prise en charge, les porteurs se retirèrent, afin d’entreprendre le voyage du retour qui les mènerait au domaine Wu.


La nonne, au teint halé, au visage parcheminé de rides et de sillons, au chignon immaculé plus ou moins bien tenu, entama une diatribe dont je ne saurais plus rapporter le détail aujourd’hui, tant alors son récit, essaimé dans une visite presque opérée au pas de course des couloirs, chambres et antichambres du temple, m'avait alors semblé obscur et confus.


Il me fallut encore quelques années au sein du Temple pour saisir, de ce discours haché, tous les tenants et aboutissants. Des années, pour comprendre les rites liés aux sept salles consacrées aux divinités, dont l’interdépendance et la coexistence façonnait le monde, en son équilibre fragile, délicat, et pourtant ayant la force de permettre l’essor de ce monde même. Grâce à l’interaction commune des dieux, la merveille de ce monde devenait possible, et pour cela il était nécessaire de leur rendre un hommage égal, en une panoplie de rites complexes, auquel la population du temple s’affairait, dans les salles qui nimbée de la lumière crue du jour, qui dans les arrières salles ténébreuses et imprégnées d’encens, qui dans les jardins suspendus, perchés sur les arêtes de la falaise.


Je m’adaptai lentement, à cette vie codifiée. Mes racines, lentement, s’étirèrent, et trouvèrent le terreau connu des rites, auxquels je pouvais me raccrocher, maintenant que le monde temporel ne nécessitait plus ma présence. Je m’imprégnai, au gré de cette routine, presque malgré moi, de la magie millénaire du lieu, de son esprit mystique, et mon langage s’emplit des formules parfois ambiguës, et souvent alambiquées des fervents. J’appris beaucoup sur les dieux, mais davantage sur les hommes et les femmes, de passage au temple pour trouver auprès des dieux des réponses, alors que la coutume et la tradition leur faisait défaut. Il nous fallait guider alors leurs démarches auprès des divins à travers des rituels variés, selon leurs besoins, mais surtout leur processus de réflexion et d’introspection.


On ne put par ailleurs détacher de moi les anciennes habitudes et manies de préoccupation d’affaires temporelles. Ainsi, j’en vins à la fois à me faire aussi duale que le cycle de la vie et de la mort, aussi duale que chacun des dieux disposant chacun de leur côté bénéfique, et de leur côté meurtrier, en trempant tantôt dans les affaires spirituelles, tantôt me penchant sur des questions très pragmatiques, dont la réponse permettait ou handicapait le bon fonctionnement du Temple.


Le Serpent Blanc m’avait avalée, faisant de moi une créature duale et curieuse, à l’image de chacun des Sept, mais avant tout, en ses deux penchants, orientée vers la voie divine.Ainsi que le disait le proverbe, c'était bel et bien sous l'égide du Serpent, qu'il était possible de faire peau neuve.


Dernière édition par Mei Wu, Yamato le Jeu 20 Juin - 2:25, édité 1 fois
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Message  Morague Argamane, Euren Jeu 20 Juin - 1:27

Les curieux détours de la Voie Médiane

Le tracé du pinceau - une vie et des rites Chinese_Lanterns_02_by_inCubetion
 
La vieille nonne qui m’avait accueillie, il y a de cela quelques années, était assise en tailleur devant une table basse, seul meuble du sanctuaire de l’antichambre menant au sanctuaire de Baak, obscur et enfumé des vapeurs d’encens. Les nombreuses lanternes écarlates, ornées d’idéogrammes pieux et d’icônes, jetaient un éclairage sanglant, dans la pièce dénudée. Entre ses mains desséchées, elle retournait le vélin marqué de quelques idéogrammes à l’encre noire, me les révélant alors, et s’en permettant, de surcroît, la lecture à haute voix.


« Le mythe de la sécurité
Etait aussi fragile en somme
Que la rosée d’automne.
Shigemi OBAYASHI »

Je ne pus m’empêcher d’élever un sourcil, à la lecture du haiku. Ces vers légers imposaient à l’auteur une telle concision, que trop souvent ils s’avéraient impénétrables. Avec une expression entendue peinte sur son visage sillonné et mat, elle me demanda :


-Sais-tu ce que cela veut dire?



Cette vieille nonne qui m’avait guidée au premier jour, croulant sous le poids des années, n’avait pas su bonifier son discours de clarté. Je dus admettre, inclinant brièvement le chef avec humilité, mon ignorance.


-Je l’ignore, cependant, respectable grande-sœur, pourriez-vous m’éclairer à ce sujet, si vous le voulez bien.

Elle eut un hochement de tête sec.


-Nous sommes, gardiens des cultes anciens et de la tradition destinée à maintenir ce monde comme un tout soudé. Nous sommes, par ce rôle, humbles messagers destinés à faire entendre le plaidoyer des hommes aux dieux, et à l’inverse, le plaidoyer des dieux aux hommes. Certains révèrent certains des Sept, ou les Glorieux, selon leur bon gré, leurs préférences, leurs codes. Ils s’avère pourtant que l’action des Sept se révèle être un tout coordonné, et notre retrait du monde nous permet d’en avoir une vue d’ensemble.



J’eus un hochement infime, attendant, voire espérant, une suite qui donnerait son plein sens à la litanie de la vieille nonne.


-L’équilibre a été rompu. Un messager, venu de la Capitale, a porté les nouvelles de la tragédie d’un archipel lointain. C’est là-bas, que la balance a été renversée, et que se sont déchainés les dieux, leurs éléments, leurs créations. Peut-être ont-ils souffert trop d’affronts et d’impiété. Ou peut-être, encore, l’équilibre a-t-il été volontairement chamboulé, par quelques hommes oeuvrant pour un seul côté de la balance.

Après une inspiration profonde, une question s’exfiltra de mes lèvres.


-Respectable grande-sœur, sauf votre respect, j’aimerais savoir en quoi nous, humbles dévoués du Temple du Serpent Blanc, sommes concernés par cette affligeante nouvelle?


Le visage de la vieille se plissa davantage, ses rides se creusèrent alors que le spectre de l’irritation contenue passait sur ses traits.


-Il faut comprendre, que tout chamboulement semblable est de notre ressort, pour deux raisons. En premier lieu, car le chaos et la destruction sur le second archipel des landes peut constituer un message, un signe, que nous devons considérer : si les événements survenus sur l’Archipel étranger étaient quelque signe, envoyé par les dieux, concernant l’avenir du jardin qu’est Nara? Il importe donc de réserver à de tels événements une attention aiguë. Par ailleurs, ne sommes-nous pas ces humbles émissaires, destinés à faire le pont entre les dieux et les hommes? Si cet archipel reculé et déchu n’avait pas de messager, il n’est pas impossible que le déchainement des éléments et la destruction s’explique. Cependant, de la destruction vient toujours une renaissance. L’archipel déchu renaitra, et à ce moment il faudra qu’il grandisse, de la leçon qu’il a acquise. À ce moment, il faudra qu’un émissaire du Temple du Serpent Blanc, foule la terre de cet archipel lointain.


J’eus donc un hochement, adhérant à son raisonnement. Néanmoins, une question s’exfiltra de mes lèvres, mue par une curiosité que je me permets aujourd’hui de regretter.


-Et, donc, qui se rendra sur l’Archipel étranger?
-Vous.



Sa réponse faillit me faire perdre contenance, et il me fallut des efforts considérable pour contenir mon étranglement en un toussotement. J’étais alors rien de moins que suffoquée. Et je n’avais aucune envie d’entreprendre un voyage aussi long que fastidieux, pour aboutir sur une terre inculte et étrangère, connue pour sa dangerosité.


-Mais… comment, et surtout, pourquoi? Il se trouve au temple nombre de vestales plus jeunes, nombre de vénérables sœurs d’expérience, prête à faire partager leur savoir acquis au fil des printemps et des automnes, nombre de prêtresses ayant dévoué toute leur vie aux divins, plus pures et plus près des dieux, par mille fois, que je ne le serais moi-même…


-Et pourtant, vous avez l’expérience sans pour autant que l’âge ne compromette vos capacités, vous avez la compréhension des choses divines et la ferveur, sans être coupée des considérations pragmatiques. Vous êtes, en quelque sorte, la représentante de la … voie du milieu, au sens littéral de nos pratiques, mais aussi en ce qui a trait aux qualités nécessaires pour entreprendre un tel périple.


La vieille femme se redressa à grand peine, s’aidant de sa canne, laissant le vélin sur la table basse devant laquelle elle siégeait, un instant plus tôt.



Elle entreprit, à petits pas, de se diriger vers la béance de la porte à l’arche sculptée. Et sans se retourner, elle eut une parole qui m’arracha un nouveau hoquet de stupeur.


-Vous partez demain.


Elle me laissa, stupéfiée, figée dans la pénombre écarlate de la pièce confinée, devenue suffocante pour bien d'autres raisons que les fumées d'encens. À nouveau, on tirait d’un coup sec sur ma tige, et sans préavis mes racines étaient tirées d’un sol où enfin, elles commençaient à s’étendre.




Aux aurores, alors que je montais à bord de la nef censée me mener loin de Nara, vers les terres inconnues et lointaines de Madrigal, je sentais peser sur ma nuque le regard de mes fils et de leurs épouses, qui s’étaient déplacés pour l’occasion, comme on se déplace pour un rite funéraire. Ils marquaient, ainsi que le voulaient les rites, ces ultimes adieux de leur présence. J’ai fait l’ascension de la passerelle, comme on ferait celle pour rejoindre les dieux par-delà le voile des nuages : sans me retourner. Je leur épargnai le spectacle de mon minois livide, de mon air décomposé. Ils ne virent alors que ma nuque, d'une raideur qui, je l'espérait, semblerait figure de dignité. J'espérais insuffler en leur coeur un vent de fierté, face à la dignité dans l'honneur qui était fait à un membre du clan Wu d'être choisi pour une telle mission, face au courage de l'investi allant droit devant lui, déterminé au point de ne jeter un regard en arrière. J'espère, en tout les cas, avoir pu leur éviter la honte d'une larme écrasée du pouce à l'écart, échappée malgré soi d'un oeil que l'on voulait pourtant garder sec.
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Message  Morague Argamane, Euren Jeu 20 Juin - 1:59

Sur le dos d'Arune


Le tracé du pinceau - une vie et des rites A-china-junk-boat


Les voiles claquent, dans les vents du large. L’air devenu salin, gorgé par l’eau des océans interminables d’Arune, me semblait glacial.


Mon passage sur la nef se payait en dévotions pour la divinité des eaux. Ainsi, chaque jour il me fallait disposer des offrandes dans ses vagues grises, parfois agitées, parfois calmes, et solliciter la divinité afin de nous épargner son courroux de tempête.


Heureux hasard, ou réel encouragement de la divinité, le voyage s’opéra sans plus d’encombre que nécessaire. Peut-être, si réellement il était du dessein des divins de habiliter leur culte, et de veiller à l’équilibre de l’ile lointaine, valait-il mieux qu’elle ne renverse pas notre frêle esquif d’un souffle, qu’elle tienne à l’écart les monstres s’ébattant en son giron, et qu’elle souffle des vents mauvais sur les truands des mers, afin qu’ils ne puissent nous atteindre.


Outre par les offrandes du matin, et les prières du soir, mon emploi du temps s’avérait fort peu chargé. Hormis la supplique à la déesse des mers qui nous portait obligeamment sur son dos, nul n’osait se risquer à d’autres prières : formuler davantage de demandes aux dieux qu’un voyage sans encombre aurait pu, qui sait, froisser l’un ou l’autre, et nous attirer quelque déconvenue.


J’eus donc le temps d’arpenter le pont de bois grinçant, et d’en observer la curieuse faune. Un détail provoqua ma stupeur. Si nous étions plusieurs fiers yamatos, et une poignée d’étrangers ramassés au gré d’escales diverses, au fil de notre périple, un trait semblait commun à la quasi-totalité des passagers.


La jeunesse.


Une telle jeunesse, qui faisait de ma fin trentaine, pour ne pas dire jeune quarantaine, un phénomène. Ils étaient qui adolescents, qui jeunes adultes, tous dans la fleur de l’âge. La plupart beaux, ils formaient un curieux bouquet de fleurs fraichement épanouies. La jeunesse, avide de nouvelles expériences, se riant des dangers, rêvant d’un monde où tout était à bâtir, se donnait rendez-vous en direction de Madrigal.


Cette découverte m’arracha un sourire. Si Madrigal n’était bâtie, au fond, que par une poignée de jeunes femmes pleines de candeur, de jouvenceaux gourmands, d’arrivistes en début de vie et d’éphèbes avide d’aventure, il n’était guère étonnant que la déchéance ait frappé de plein fouet le jeune archipel. Serais-je capable, seulement, de me faire entendre, au sein de cette cascade de sang neuf et bouillant? Mépriseront-ils les traditions, les devoirs et les cultes anciens? Ou au contraire, devrais-je alors me faire mère, de toute cette marmaille, comme y serait tenu un phénix atterrissant dans un poulailler dont tous les poussins méprendraient pour leur mère?


Je garderais, jusqu’au port, ce sourire doux-amer. Ce sourire que l’on fait, car il est de meilleur ton de sourire d’une chose que d’en pleurer.
Morague Argamane, Euren
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Message  Musashi Miyamoto, Yamato Jeu 20 Juin - 15:55

[HRP] J'ai lu les deux premières posts et... Wow! Shocked

Je vais lire les autres quand le temps me le permettra! C'est un vrai roman ton truc, très belle plume! Heureux de t'avoir parmis les Yamatos! Smile

Tu as tout imaginer ou tu t'es inspiré avec d'autres textes ?

Peu importe, c'est vraiment bon! Smile [/HRP]
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