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Message  Lyanna d'Estremine, Euren Lun 5 Aoû - 15:58

Lettre première
Désirée à sa petite-fille Lyanna, à Madrigal



Un bain. C’était la seule dont elle avait besoin, d’un bain, en ce moment précis. Thessarie, son imposant lévrier, avait levé le museau en la voyant débouler dans la chambre d’auberge, barbouillée de sang et gémissante. Mais il ne bougeait pas, se contentant de la regarder traverser la pièce et lancer les vêtements souillés au sol, sur son passage. C’était toujours ainsi, entre sa maîtresse et lui. Lorsqu’elle était occupée, faisait des choses ou vivait des aventures étranges, il la laissait à ses affaires. Et lorsqu’il mordillait baveusement un os, ou tentait d’attraper ce fichu rat qui grugeait le mur, elle respectait son libre arbitre. Parfois, elle lui grattait derrière les oreilles en lui répétant que sa liberté débutait précisément là où s’arrêtait celle des autres, et Thessarie semblait comprendre : il se tournait sur le dos, réclamant caresse là où c’est si bon, sur le ventre.

Mais cette fois-ci… Même nue, le sang la maculait. Une entaille plus ou moins profonde sur le flanc, la prêtresse peinait à enjamber la large bassine d’eau fumante. Un long soupir de soulagement se fit entendre dans la pièce lorsque l’eau la couvrit jusqu’au menton, et Thessarie gémissait en guise de solidarité. La jeune demoiselle se prélassa un moment dans cette eau rougit de sang avant de se rendre à l’évidence : une lettre l’attendait, à un mètre de là, toujours scellée. Il y avait déjà trois ou quatre jours qu’elle repoussait l’inévitable, mais tôt ou tard, il faudra qu’elle la lise, en prenne connaissance, et pire, qu’elle y réponde. Bien que son esprit vagabondait plutôt vers le miracle dont elle fut témoin, voire instigatrice, elle dut mettre fin à ses rêveries sur l’Unique pour considérer sérieusement cette lettre arrogante.

Sous une plainte sourde, la toute blonde blessée s’étira pour empoigner la missive frappée au sceau de la famille d’Estremine. Elle assécha ses mains sur une serviette bien chaude et moelleuse, déposée sur un petit banc tout près, pour se plonger dans cette lecture plus ou moins désirée.



Ma chère petite-fille,

Nous avons prié encore trois jours après votre départ pour la mémoire de votre défunt père. Lorsque nous eûmes fait nos dévotions sur son tombeau, j’ai pris une décision de première importance vous concernant. Je compte dès à présent me tenir garante de votre éducation et être la gardienne de vos vertus. Qu’aucun faux pas ne vienne troubler le repos éternel de votre père, paix à son âme!

Vous nous avez quittés bien prestement pour rendre honneur aux dernières volontés de votre défunt père. Ainsi, je n’ai pas su vous en dire plus sur un sujet qui devrait pourtant vous tenir à cœur : l’honneur et le respect. Malheureusement, lorsque ces mots viennent à disparaître du vocabulaire d’un individu, c’est que les choses qu’ils représentent ont-elles-mêmes disparu, car enfin, les mots sont l’étiquette des choses, et l’on ne nomme que ce qui existe. Hélas, la jeunesse dont vous faites partie en perd de plus en plus la notion. Les jeunes gens parlent désormais de « plaisir » qu’ils ont d’accepter une invitation, et non pas de l’ « honneur » que cela peut leur procurer. Le nombre de fois ou moi, vieille dame, croise des jeunes filles qui n’inclinent pas même la tête à mon endroit pour me saluer. Enfin, voir des jeunes demoiselles me tendre la main la première avec des salutations cavalières est encore des anomalies de cette époque où l’égalité semble anéantir jusqu’à la mélancolique distinction des âges.

Le savoir-vivre nous demande, tout comme la charité que nous implore la parole de l’Unique, de la bienveillance à nos inférieurs, de la politesse et de la cordialité à nos égaux et du respect à nos aînés. L’âge constitue la sagesse qui habite pourtant l’Unique lui-même, preuve irréfutable de supériorité. Ainsi, une personne âgée a droit à des égards dont une jeune fille bien élevée ne s’éloigne jamais.

C’est ainsi, ma tendre enfant, que vous devez maintenir dans votre dictionnaire intime ces deux mots que j’ai cité plus haut. Si vous souhaitez dire à une vieille amie que vous regrettez de ne pas l’avoir vu, dites lui « Je regrette de ne pas avoir eu l’honneur de vous rencontrer. » N’oubliez pas que la majorité de vos lettres et de votre correspondance doit impérativement se terminer par l’expression de vos sentiments respectueux. De cette manière, vous garderez ce respect dans vos manières afin de ne jamais vous montrer grossière envers la priorité de l’âge. Si la mode revient à la petite dislocation de tête et de cou qui avait la prétention d’être un salut, je vous conseille fortement, au nom du savoir-vivre et du respect, de ne pas vous sacrifier à un usage aussi ridicule.

N’oubliez pas que vous commencez seulement à parcourir le cycle de la vie; ceux qui marchent devant vous ont déjà vu ce que vous constatez tout juste. Admettez votre inexpérience et respectez l’expérience d’autrui.

Je vous embrasse.

Grand-Mère



Non, vraiment. Un monde séparait la petite fille condamnée à Madrigal où aucune civilité n’existait, et sa grand-mère qui jouissait de la bienséance réputée de la Thessarie.
Lyanna d'Estremine, Euren
Lyanna d'Estremine, Euren

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