L'histoire d'une tradition: Les Bannils Maritimo
Page 1 sur 1
L'histoire d'une tradition: Les Bannils Maritimo
Le vent de montagne s’engouffrait dans les cheveux du garçon pendant qu’il grimpait le flanc. Sur ses épaules, une bouille pour les vendanges, durant le solstice d’été, sorte de hotte pour y entreposer le raisin fraîchement récolté. D’autres viticoles arboraient ces drôles de sacs, dans leur mains une serpette pour couper les grappes rouges. Les grains roulent de mains en mains, les hottes se remplissent, les épaules s’alourdissent et déjà le long des joues des bambins, coule la sueur pestilentielle du travail ardu. Impossible d’aller trop vite, les vignes de montagne sont les plus rudes pour la récolte, en pente, mais l’on en fait du si bon vin. La charrette attend les ouvriers en bas pour qu’ils vident leur cueillette, les obligeant ainsi à plusieurs allers retours dans la journée. Leurs souffles de bœufs réclamaient une pause dans l’air, leurs bouches salivant un répit, les cœurs des plus vieux s’accrochant à leurs bretelles et les jambes des plus jeunes tremblant sous l’accumulation de poids. La douleur, l’atrocité musculaire qui en découlait participait à la qualité supérieure des vins, ils ne se contentaient pas de ramasser bêtement. Tous ces ouvriers avaient été formé pour trier, récolter les grains les plus beaux, les calibrant ensuite dans la Grange pour ensuite être écrasés dans les grandes cuves, mon moment préféré. Je descends le flanc de montagne, accompagné d’un des vendangeurs, je cueille au passage un des grains, je le goûte. La peau est craquante sous la dent, la chair aussi charnue que les lèvres d’une femme et le jus sucré s’écoule le long de ma gorge, légèrement acide.
« Monseigneur Le Nez, bien le bonjour ! »
J’anglais la tête à chaque interpellation, un sourire franc aux lèvres. J’aime mes travailleurs, ils sont mes trésors inestimables pour le bon fonctionnement du vignoble. J’aimerai pouvoir passer mes journées avec eux, mais déjà il est temps pour moi de continuer mon inspection du matin à la Grange. Le bâtiment surplombait le bas relief, constitué de bois et de briques rouges. Ma famille était réputée dans la région pour l’hygiène irréprochable et avant gardiste de nos productions. Ainsi, nous disposions autour de l’édifice d’un tout à l’égout, d’étuves à vapeur et d’une pressurisation de l’eau pour laver les sols, tous deux reliés à un énorme foyer dont l’on voyait dépasser le soufflet à charbon de l’extérieur. Mon père avait imaginé des cheminées de cuivres sortant du toit, zigzaguant dans les airs tels des bras de fer pour refroidir les flux, thermorégulant la fermentation du vin. Enfin, les portes de la Grange s’ouvraient sur un hectare de cuves et de tonneaux. Les premiers servaient pour écraser le raisin. Je laissais traîner mon regard sur les pieds qui piétinaient les grappes, parfois sur la croupe incendiaire de quelques donzelles aux jupons relevés.
« Bonjour monseigneur Le Nez ! Venez donc voir les moûts* ! »
Mon bras droit m’apporte alors quelques alambics contenant des jus à l’intérieur. Les couleurs s’échelonnent dans un camaïeu de rouge et se terminant par deux récipients au liquide blanc, aux reflets mordorés : couleurs parfaites. J’acquiesce alors et je passe à la salle des fermentations. Les effluves alors deviennent différents, l’on y sent un mélange de tannin, d’alcool, de champignons, de bois et d’humidité oppressante. 12 fûts de chênes s’élèvent devant vous sur une cinquantaine de pieds de hauteur, la pièce est dénuée de fenêtres et le sol trempé. Pour atteindre les hauteurs, des échelles ont été placées sur chacun des cylindres de bois. C’est là que commence mon véritable travail. Des vendanges à la vinification même du vin, je suis l’œnologue, Le Nez.
*terme communément employé pour le jus de raisin.
Il fut toujours hors de question pour notre famille de vendre de la piquette de table, nous exigions le meilleur de nos produits, nous chérissions plus que tout le fruit, les cépages**, les goûts et les odeurs. C’est ainsi que mon père m’apprit tout jeune à composer. Je suis le musicien du raisin, je goûte, j’évalue, je conditionne, je mélange et je crée des millésimes pour activer vos papilles gourmandes. Je sais quoi vous conseiller avec quel plat, quel vin sirupeux créer pour courtiser votre belle ou encore alimenter un deuil pénible. Mon bureau se situe dans les hauteurs, avec, à l’intérieur des fioles à foison, tel un parfumeur cherchant l’association rare pour créer en vous un orgasme profond lors d’une dégustation.
Mais assez causé, il me reste encore la dernière salle à inspecter, celle de l’embouteillage et de l’étiquetage. Des employés étaient payés pour superviser le bouchonnage et devaient trier ce que nous appelions le vin nouveau du vin d’avant-garde, celui que l’on consomme directement après fermentation ou celui que nous laissons vieillir. Nous pourrions vous proposer du rouge, du rosé ou du blanc, un goût fruité rappelant la figue ou bien quelques vins forestiers aux notes plus tannées. J’attrape une bouteille pour vérifier l’étiquette : vin du pays d’OC du Cellier Bannils Maritimo.
Le regard de l’homme trentenaire s’évaporait un instant auprès d’une silhouette nouvellement apparue dans le contrefort de la pièce, discrète dans le brouhaha général que provoquaient les bouteilles et les voix des employés. Cependant les intonations s’estompaient petit à petit, laissant place à un murmure plus glacé. Monseigneur Le Nez s’avance, tend une main énergique aux contours cornées et se présente d’une voix toute aussi remplie de vie que le reste de son charisme :
« Je m’appelle Phillipin Bannils Maritimo, fils du prestigieux Galio Bannils Maritimo, que puis-je pour vous ? »
La silhouette alors se penche vers l’oreille de l’œnologue. Un sourire s’esquisse sur le visage du bonhomme, adoucissant un peu son visage carré et faisant oublier un court instant son long nez. Ses iris violettes se plissent puis se voilent sous des paupières au teint mâte. Son interlocuteur aurait pu alors observer le fils vignoble dans les moindres détails : ses rides légères que l’on gagne à vivre au soleil, les lèvres charnues, le menton carré et les muscles masséter bien marqués. Un mélange de rudesse et de finesse entre le bas et le haut du visage. Quand à ses cheveux, le teint semblait indéfinissable tant la poussière accumulée s’accolait jusqu’à la racine pour leur donner une couleur plutôt terne. La mystérieuse silhouette remonte une nouvelle fois jusqu’aux yeux, de si beaux yeux d’un violet bien marqué comme les vignes qu’il chérissait tant. L’héritier de ces grandes terres aurait pu être beau si une longue cicatrice ne bordait pas toute la partie gauche de son visage, démolissant et déformant chacune de ses expressions faciales.
Je sens le rouge me monter aux joues, il m’est toujours assez gênant de côtoyer des clients un peu trop proches de moi. Pourtant mes mains ne tremblent pas lorsque je perçois l’enveloppe cachetée d’un rond de cire, je garde ce visage paisible et froid qui faisait office de signature au sein de la famille Bannils Maritimo. Mes doigts s’emparent d’un coupe papier aiguisé, j’observe l’étrange humanoïde me sonder : j’aime quand ces créatures me dévisagent comme si j’étais un parfait inconnu, j’aime quand ils se sentent supérieurs, quand de par leur simple regard ils m’abaissent : une jouissance particulièrement efficace que d’offrir la sensation de mauvais sentiments à mon égard, entre la crainte et l’admiration.
** type de plant de vigne caractérisé par des particularités propres, donnant un goût différent au vin.
Un nom, voilà ce qui figurait sur le message, seulement un nom. Je le mémorise avant de tendre ma main vers la flamme d’une bougie pour le brûler aussitôt. Par la suite les échanges sont silences, des regards, des hochements de têtes puis des salutations respectueuses. J’observe l’encapuchonné repartir d’un pas feutré en souriant de plus belle : Peut être serait il temps de prendre le large, de partir, laisser les terres à mon bras droit : père était malade et me demandait à Madrigal pour ses dernières volontés, je ne savais pas encore que la soif de bâtir une nouvelle lignée de vin me prendrait lors de ma traversée.
Phillipin, Euren- Messages : 10
Date d'inscription : 29/08/2013
Page 1 sur 1
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum