intermède et retour

Décevant, c'est le seul mot qui me vient en tête alors que je déambule à travers les couloirs abandonnés de ce qui était le manoir familial des Wettins. Décevant et un peu frustrant, car au final, ils ont même réussi à me refuser la confrontation que j'espérais depuis tant d'années. Une confrontation pour demander un paiement, ou du moins des explications pour cette vie de paria, d'enfant hors-mariage qu'ils ont reconnu à contre-coeur mais à qui ils ont clairement fait savoir qu'ils ne l'accepteraient jamais pleinement.

D'une certaine façon, c'est un baume de savoir que je suis de nouveau libre de marcher sans m'inquiéter de savoir si on m'a reconnu. Mais en même temps, j'aurais voulu les revoir...leur dire que même avec cette prime sur ma tête, je prospère et qui sait, peut-être que l'occasion de finir ce que j'avais commencé 5 ans plus tôt aurait pu se présenter. Je dois être honnête avec moi-même, je ne me suis jamais considéré comme quelqu'un de rancunier, mais cette fin en queue de poisson laisse un vide.

Mes pas me mènent, un peu inconsciemment, au salon du deuxième étage. La pièce a été vidée, et une épaisse couche de poussière recouvre le planché. C'est ici où tout s'est fini, ou tout a commencé, selon le point de vu. J'ai vu ici même, mon ''grand frère'' embrasser la femme que j'aimais à l'époque. Ma réaction fut celle d'un jouvenceau bourré de rage et d'hormones : irréfléchie et violente. Quand la colère passa et que mes idées s'éclaircirent finalement, les deux étaient à terre, unis par l'épée que j'avais passée à travers les deux. Probablement une mort des plus romantiques si cela avait été dans d'autres circonstances. Puis la servante dans un coin de la pièce se mit à hurler, ameutant la maisonnée au grand complet et me poussant à sauter par la fenêtre dans l'étang. J'en fus quitte pour quelques contusions. Encore aujourd'hui, je me demande ce qui m'est passé par la tête à ce moment. Sauter d'un deuxième étage, je devais trop écouter mes sœurs parler de leur roman de chevaliers et autres dans ce temps là.

Maintenant que j'y pense, cette fenêtre n'a jamais été réparée d'ailleurs. On a mis quelques planches grossières tout au plus. Cela doit vouloir dire que ma famille passait déjà à travers une période de vache maigre à ce moment-là. Connaissant mon père, et l'amour qu'il portait pour son premier fils, il a probablement préféré condamner le salon pour pouvoir mettre plus d'or sur ma tête plutôt que de payer pour une nouvelle fenêtre.

Mes pas me mènent maintenant à l'extérieur, face à la demeure. Le manoir n'est plus qu'un pâle reflet délabré de sa gloire d'antan.  Le hasard est vraiment une maîtresse cruelle quand on y pense. Cela faisait presque 6 ans que j'évitais la capture, que je prenais des forces sur le continent de Rieden, me préparant au jour ou je pourrais finalement affronter ma ''famille''. Tout cela, pour en arriver là... Le moins excitant des dénouements possible. Alors que j'étais sur le continent de Rieden, une série de mauvaises décisions et de petites guerres entre familles ont presque éteint la famille et la peste s'est chargée du reste. Et je n'ai même pas eu un mot à dire dans cette chute.

La nuit commence à tomber. Je retourne à l'intérieur, et j'y trouve ce que je peux. Meubles, nappes, vieux parchemins et j'en fait une pile au centre du hall d'entrée. Je sors aussi une bouteille d'alcool fort. Si j'ai bien appris quelque chose en demeurant avec les Nurrs de Minoc, c'est que l'alcool a plus d'une fonction. J'en verse généreusement sur le tout. J'allume ma torche à l'extérieur et je regarde le monticule. Oui c'est définitivement décevant comme dénouement, une victoire amère qui laisse un énorme vide. Je pourrais prendre la demeure pour moi-même, mais à quoi bon? Pour me faire contester par un arrière petit cousin inconnu? Les Wettins sont finis, je ne vois aucune utilité à tenter de sauver un cheval mort. De toute façon, je ne m'y suis jamais senti à la maison. Je prends mon élan et lance avec précision la torche sur l'amoncellement, qui s'enflamme immédiatement. Je vais m'asseoir, le dos contre un arbre un peu plus loin, regardant le feu tranquillement se propager à tout le manoir, une bouteille de vin à mes côtés. Tant qu'à m'être déplacé pour une ruine, autant s'assurer qu'elle en reste une à jamais, au moins, je ne me serais pas déplacé pour rien.

(quelques jours plus tard)

Me revoila, en train d'embarquer pour le continent sauvage comme il y a de cela quelques années. Mais ce coup-ci, je n'ai aucun capuchon, aucune intention de cacher mon identité...Rieden...si on avait à comparer le continent sauvage à une partie du corp, ce serait probablement l'anus du monde. Dire les fesses seraient encore trop chaleureux et poétique pour vraiment saisir la nature du continent.

Quand les différents peuples ne se sautent pas à la gorge, c'est la terre elle-même qui conspire pour les chasser. Plusieurs m'ont parlé de Rieden et de Madrigal comme étant probablement les endroits les plus dangereux de cette terre, et pourtant, j'y retourne...de mon plein gré. Qui dit terre de dangers dit souvent terre d'opportunitées...Je reviens...et cette fois-ci, ce n'est pas pour me cacher...père et frères, peu importe où vous êtes maintenant, regardez moi...le ''bâtard'' va réussir là ou vous avez échoué...et lorsqu'il reviendra sur vos terres...ce sera pour danser sur vos tombes pour que vous puissiez constater quel point votre ''échec'' à réussit là où vous avez échoué.