Aux autorités officielles administrant les questions de santé

À qui de droit, et, sil plaît à sa Grandeur d'en faire lui-même la lecture, sachez que j'y enjoins mes plus nobles hommages.

Je suis Émegius de Gartes, philosophe humaniste, anatomiste et médecin, venu trouver sur les terres nouvelles toute la latitude libérale nécessaire à la poursuite de mes travaux et recherches.

Il ne sied en rien à vos seigneurs de souffrir de mes humbles et basses doléances. Cependant, en vos qualités dont on vous coiffe de politique soucieux du bien être de vos sujets, je désire porter à votre attention les quelques faits suivants.

Seulement lors de notre périple en mer, il fallut à mon assistante ainsi que moi-même : amputer une jambe à deux malheureux et des doigts à trois fois plus chez qui la gangrène avait fait son bien funeste nid; édenter une femme pourtant encore jeune dont la teinte des gencives n'avait rien à envier à celle du pain rance; traiter un vieillard pris de délire et chez qui les organes internes se noyaient dans la bile noire; et même assister une pauvre damoiselle dans les affres et les douleurs de l'accouchement. Je vous évite les énumérations précises quant à la malnutrition de plusieurs ou à l'abus d'alcool – alcool de  qualité bien médiocre, qui plus est – des autres. Autre fait inquiétant : les rats, quant à eux, pourtant bien rares à notre embarquement, quittèrent le navire au triple – si ce n'est davantage – des passagers.

Cela, certes, fait partie des risques du voyage et même votre emprise y reste éphémère. Je me consolai cependant en me disant que les installations de Madrigal permettraient d'offrir à ces pauvres âmes quelques soins supplémentaires et par des mains, sinon plus expertes que les miennes, à tout le moins plus nombreuses. Tristement, je suis resté aussi coi que plusieurs malheureux qui eurent à quitter leur brancard et s'en remettre au destin.

Je souhaitais donc savoir s'il était dans les intentions de ces seigneurs de doter Madrigal d'une unité de quarantaine, sinon d'un cabinet de médecine digne de ce nom. Car bien qu'il soit heureux que de plus en plus d'âmes, comme mon assistante et moi-même, affluent sur ces vierges terres, il n'en demeure pas moins que deux graves maux peuvent se faire de plus en plus pressants : la peste et les charlatans.

Si ce projet en appelle à votre grandeur – ce que je prie qu'il advienne – c'est avec une joie non feinte que mon assistante et moi-même pourrions vous conseiller en quelques affaires de sciences et de progrès et, d'un élan pro bono publico tout naturel, offrir nos services et soins au plus nécessiteux.

À votre désir, je pourrai vous faire parvenir curriculums et divers traités de science anatomiste.

Que le destin vous garde, la fortune vous sourit et la santé demeure.

Émegius de Gartes